« L’intégralité de ma carrière est liée au télescope James Webb ». Enfant de Plouzané (29), Olivier Berné, aujourd’hui astrophysicien au CNRS à Toulouse, navigue entre deux sentiments, à quelques heures du décollage de la mission. L’anxiété, évidemment, née de l’énormité de l’enjeu professionnel. Mais de la confiance aussi, qu’il place dans les équipes américaines, européennes et canadiennes impliquées dans ce projet scientifique, l’un des plus audacieux de l’histoire.
Environ 307 points de défaillance unique doivent être dépassés pour que le déploiement soit réussi. Cette phase du JWST est similaire à la phase d’entrée-décente-atterrissage (EDL) de la mission Mars Science Laboratory, qui, à titre de comparaison, en comportait 75. pic.twitter.com/UsE4SPw3ia
— Olivier Berné (@OliBerne) December 6, 2021
Reporté à plusieurs reprises, le lancement de ce télescope spatial de la Nasa devrait avoir lieu ce 25 décembre. « Toute la suite de mon parcours de chercheur va reposer sur les observations qu’on va réaliser avec. S’il y a un problème, je n’ai pas encore de plan B », en sourit presque l’astrophysicien finistérien. Un autre scientifique breton, Éric Lagadec, installé à l’Observatoire de la Côte d’Azur, à Nice, croise aussi les doigts : « J’espère que ce sera un beau cadeau de Noël pour tous les astronomes ».

Un projet à dix milliards de dollars
Placé dans la coiffe d’une fusée Ariane 5, le télescope James Webb, grand comme un terrain de tennis, a dû être plié pour rentrer dans un espace de 5 m de large. Son déploiement – qui nécessite l’activation de plusieurs centaines de mécanismes – est d’une complexité jamais vue dans les missions spatiales. D’où le long retard accumulé par le projet, initialement prévu pour être lancé en 2007 et dont le coût a été porté à dix milliards de dollars.
L’instrument doit être placé en un point situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, soit quatre fois la distance qui nous sépare de la Lune, sans possibilité d’envoyer une quelconque mission pour le réparer. Là-bas, son « œil », doté d’un miroir dépliable de 6,6 mètres de diamètre, ne souffrira pas des contraintes que subissent les observatoires terrestres, en particulier les turbulences atmosphériques qui nuisent à la qualité des images. Sa durée de vie est estimée à cinq ans, l’espoir étant qu’elle dépasse les dix.
Contrairement à son « ancêtre » Hubble, un télescope spatial vieux de 30 ans, qui « voit » dans le spectre de la lumière visible avec un miroir beaucoup plus petit, le James Webb va, lui, pouvoir scanner l’univers dans l’infrarouge. « Pour observer des galaxies très lointaines, il est nécessaire de les étudier dans ces longueurs d’onde. Ces galaxies s’éloignent de nous à très grande vitesse, faisant rougir la lumière qu’elles nous font parvenir, jusque dans l’infrarouge », explique Olivier Berné.
Produire des images d’exoplanètes
Ces observations dans l’infrarouge vont aussi permettre de « radiographier » le cœur des nébuleuses, ces amas relativement opaques de gaz et de poussières où naissent les étoiles et leur cortège de planètes. L’astrophysicien de Plouzané va plancher sur le sujet, en étant responsable de l’un des 13 projets scientifiques prioritaires, le seul français. Sa cible : la nébuleuse d’Orion. « On va bénéficier de 40 heures d’observation l’été prochain, dès que le télescope sera opérationnel ». Originaire de Sizun (29), Éric Lagadec a également réussi à obtenir du temps d’utilisation dans une grosse année : « On visera la nébuleuse de l’Insecte, pour mieux comprendre comment de la poussière se forme autour d’une étoile en fin de vie, similaire à notre Soleil, qui, lui, devrait mourir dans 5 milliards d’années ».
Mais arrêtez de parler de bouffe, il y en a qui bossent! (et qui écoutent… le JWST le 31 Octobre, j’espère que ça va le faire et j’ai hâte, on va regarder la nébuleuse de l’insecte!) pic.twitter.com/9VEKgKboHD
— Eric Lagadec (@EricLagadec) April 27, 2021
Le télescope James Webb doit aussi permettre de débusquer des planètes extérieures au système solaire, peu brillantes, grâce à un outil « made in France », qui permet d’occulter leur soleil très lumineux. « On va aussi pouvoir analyser la composition de l’atmosphère d’exoplanètes, et, pour certaines, de caractériser leur surface », poursuit Olivier Berné. « Le James Webb est une nouvelle fenêtre sur l’univers, il offre tellement de possibilités, qui vont toucher à de multiples domaines ! Les idées viendront avec le temps, on a tous hâte », synthétise Éric Lagadec, également président de la Société française d’astronomie et d’astrophysique.
Si le lancement est réussi, Olivier Berné s’attend à vivre « deux semaines de terreur » lors du dépliage du télescope qui devrait se dérouler jusqu’à la mi-janvier, bien plus que « les sept minutes de terreur » qui accompagnent tout atterrissage d’une mission sur Mars. Et on ne saura que six mois plus tard si tous les instruments fonctionnent parfaitement. Un long chemin de patience avant, peut-être, le début d’une révolution astronomique.
Circassia News
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